LE VOYAGE DE FROMAGE

LE VOYAGE DE FROMAGE, ITINÉRAIRE D’UNE MASCOTTE
Compte rendu d’une activité menée par Mme Martine van Keulen, professeure des écoles, école maternelle Fribourg (REP+), Besançon, année scolaire 2021-2022.
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CAPSULE VIDÉO DE PRÉSENTATION DU PROJET


CONTEXTE
Cette expérience s’est déroulée en REP+ dans une classe de petite et de moyenne sections de maternelle au cours de l’année 2021-2022.
Dans notre école, les origines et les langues sont multiples. Nous pouvons avoir des difficultés de communication avec des parents qui hésitent à entrer dans l’école. Beaucoup d’élèves ont une langue maternelle différente du français. Les langues les plus représentées sont l’arabe (Maroc, Algérie, Tunisie) et le shimaore (Mayotte). Le romani, l’albanais, le turc, le serbe, le bosniaque, le khmer (…) sont également présents.
De nombreux enfants sont exposés à l’apprentissage de deux ou plusieurs langues en même temps, la (les) langue(s) familiale(s) et la langue de l’école, le français.
Un déclic s’est produit : un coup de foudre pour une peluche oubliée sur un tas de vêtements à donner, une souris et une petite valise aussi. Voilà la mascotte que j’attendais… !!!
OBJECTIFS
– Créer par le biais de cette mascotte du lien avec les parents et les encourager à coopérer autour de la scolarisation de leur enfant (co-éducation).
– Cultiver la curiosité et l’intérêt des élèves pour les différentes langues et cultures de la classe.
– Valoriser ces langues et ces cultures et permettre aux enfants concernés de se les approprier.
– Favoriser les transferts des langues maternelles vers la langue française pour permettre à chacun de progresser dans la langue de scolarisation.
Et le projet se précise. Cette peluche, équipée de sa petite valise, va devenir globe-trotter. Je décide de lui proposer d’effectuer un long voyage, et de partir à la découverte des pays d’où sont issus les enfants.
MISE EN OEUVRE
Afin d’établir une cartographie culturelle et linguistique, j’avais en amont rencontré individuellement les familles, en m’inspirant du travail de Marie-Claire SIMONIN (2018) et en utilisant la grille d’entretien qu’elle a conçue. Cette première action a d’emblée renforcé les relations avec les parents et a, la plupart du temps, modifié l’attitude des enfants en classe qui peuvent alors montrer plus d’appétence pour l’école, davantage de confiance, plus de prises de parole pour les petits parleurs.
Éclairée par ces rencontres, j’ai constaté que les origines des enfants de la classe étaient très diverses et les parents parfois des couples linguistiquement mixtes.
Les langues familiales de la classe

 

La mascotte est présentée aux enfants qui la baptisent très vite Fromage, car comme chacun le sait, les souris se nourrissent de fromage.

Et Fromage part pour son grand voyage. Fromage va prendre l’avion…

Il va apprendre à dire « bonjour » partout où il se rend. Il va envoyer à la classe des photos, de la musique, des recettes de cuisine, et va remplir sa valise avec des mots….
L’enseignante initie le processus en simulant l’envoi des premières photos. Puis certains parents en apportent à l’école et en envoient depuis le Maroc ou la Turquie.
Les élèves vont ainsi découvrir les différents pays dont sont issus leurs parents. Ils vont écouter, répéter, et souvent mémoriser des mots, des expressions. Ils vont apprendre des comptines dans différentes langues. Ils vont découvrir, reconnaître, comparer des éléments culturels et linguistiques…
DÉROULÉ DE LA DÉCOUVERTE D’UNE DESTINATION
Séance 1 :

Fromage nous a envoyé des photos. Où peut bien être Fromage ?

Les enfants commentent :
« Il a un drôle de chapeau… »
« Il mange… »« Il joue…. C’est la musique… La guitare… »Aslan dit : « Je connais ça ! Chez moi ma maman elle en a ! C’est des sarma ! »
Aslan reconnaît aussi l’instrument de musique. Ce n’est pas une guitare. C’est un saz.  

Son papy joue du saz … On écoute le saz… Mais Aslan ne sait pas où est Fromage…

Il est chargé d’interroger ses parents…

Séance 2 :

Aslan arrive à l’école ce matin avec quelque chose qu’il tient précieusement contre lui….
« C’est le drapeau de la Turquie … Fromage, il est en Turquie. »

Ici s’est posée la question des drapeaux. Je ne souhaitais pas les intégrer au projet. En effet, une langue n’est en aucun cas liée à un pays de façon exclusive. Elle est encore moins associée à un drapeau particulier. On ne se reconnaît pas systématiquement dans un drapeau, symbole d’une identité nationale qui ne nous correspond pas forcément. Certaines familles peuvent se sentir blessées par l’initiative qui réveille parfois des souvenirs douloureux. La question se pose par exemple dans le cas de la Turquie pour la minorité kurde. Une maman issue du Biafra est ainsi venue me voir, très alarmée. Elle m’a expressément demandé de ne pas faire apparaître le drapeau du Nigéria lorsque nous évoquerons la langue igbo. Je l’ai rassurée. Cependant, les enfants ont adopté cette habitude d’apporter à l’école le drapeau de leur pays lorsque Fromage le visitait. Pour l’enfant, un drapeau a une fonction ludique, graphique, symbolique, qui ne recouvre pas les représentations des adultes. J’ai accepté l’initiative, en consultant les parents en amont.

Fromage visite donc la Turquie…

Nous avons cherché la Turquie sur notre globe…
« C’est la terre »,
« C’est la planète »
« C’est tous les gens tous tous tous… »

On a aussi cherché la Turquie sur notre atlas. 

 

Fromage nous a aussi rapporté un mot dans sa valise. 

Il a appris à dire « bonjour » en turc…

Séance 3 :

Lors de cette séance, la maman d’Aslan est venue à l’école pour nous faire goûter les sarma…

Ce sont des feuilles de vignes avec du riz dedans… Aslan aime ça !

Fromage nous avait envoyé des loukoums depuis la Turquie !

Pour finir le voyage, la maman d’Aslan nous a appris une chanson en turc.

PROLONGEMENTS
Les découvertes de Fromage sont régulièrement mises à jour et un affichage est réalisé dans le vestiaire pour que les familles suivent le voyage. Les élèves des autres classes viennent également aux nouvelles. Chaque enfant et chaque famille ont été concernés par les voyages. Chaque pays d’origine a été visité.
 

Un livre numérique a été réalisé. Il est utilisé régulièrement en classe avec les élèves et est accessible aux parents. On y trouve des images, des comptines, des mots dans chaque langue, des recettes de cuisine. Les enfants ont beaucoup de plaisir à le regarder et à l’écouter.

PLUS VALUES OBSERVÉES
Pour les élèves :

– Les enfants ont pris conscience de l’existence d’une multitude de langues différentes.
– Les enfants, amenés à entendre et/ou parler les langues de la maison à l’école, se sentent sécurisés.
– Les élèves « petits parleurs » osent davantage prendre la parole.
– Le rôle d’expert qui est celui de l’élève lorsqu’il apprend des mots à l’enseignant.e /apprenant.e l’encourage à s’engager dans les apprentissages. Il peut constater que l’enseignant.e se trompe aussi, et que ce n’est pas grave.

Pour l’enseignant.e :

– Découvrir les cultures des enfants et de leurs familles aide à mieux les comprendre, ce qui est essentiel à la mise en œuvre des apprentissages.
– Créer puis entretenir un lien avec les parents.
– Conséquence : le lien avec les élèves est facilité et la confiance est immédiate : ils se mettent à parler à l’enseignant.e, prennent la parole plus naturellement, et sont plus investis dans les apprentissages.
– D’une façon générale, tout ce qui suscite la confiance des parents et des enfants vis-à-vis de l’école renforce le lien école-famille et a un impact très positif sur le travail de l’enseignant.

Pour les familles :

– Les relations avec les familles sont davantage basées sur une confiance réciproque.
– Les langues familiales sont valorisées et reconnues par l’école.
– La valorisation de leurs compétences linguistiques peut les inciter à s’impliquer davantage dans la vie de la classe.
– Le rôle d’expert, celui du parent qui nous apprend une comptine dans sa langue, le place dans une relation plus égalitaire avec l’enseignant.e, ce qui favorise la co-éducation.

POUR ALLER PLUS LOIN
Abdallah-Pretceille M. (1998). Diversité culturelle et approche interculturelle. Dans Enfance, n°1, 1998. pp. 125-131.
Abdallah-Pretceille M. (2017). L’éducation interculturelle. PUF, Paris.
Abdallah-Pretceille M. & Porcher L. (1998). Éthique de la diversité et éducation. PUF, Paris.
Kervran M. (2013). Les langues du monde au quotidien, cycle 1. Une approche interculturelle. Séquence sur La mascotte voyageuse, pp.77-88. Scérén, CNDP-CRDP.
Romantzoff S. (2017). Vivre les langues en maternelle : une mascotte au service des apprentissages. Master 2 MEEF PE, Grenoble.

Publication 2023

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