LE CLASSEUR DES COMPTINES | |
Compte-rendu d’une activité menée par Mme Marie-Claire Simonin, professeure des écoles, école maternelle Cologne (REP+), Besançon | |
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OBJECTIFS |
– Mémoriser du lexique et des structures syntaxiques pouvant être réinvesties dans les interactions parlées
– Repérer des régularités dans la langue à l’oral en français (éventuellement dans une autre langue). – S’entraîner à discriminer et prononcer correctement différents sons – Mémoriser un répertoire de comptines et de chansons – Jouer avec sa voix seul et avec les autres – Repérer et reproduire, corporellement ou avec sa voix, des formules rythmiques simples |
ÉMERGENCE DE LA PRATIQUE ET APPUIS THÉORIQUES |
Les comptines, rondes, berceuses, formulettes et autres chansons enfantines appartiennent à la tradition orale et se transmettent depuis des générations. Elles constituent un genre musical et participent de façon ludique à l’apprentissage de la langue. Les comptines sont très utilisées en maternelle, leur premier intérêt est le plaisir suscité par le chant : les enfants aiment beaucoup ces moments de chants/mime/danse, de plaisir de l’oreille, de la bouche et du corps. Par ailleurs, elles permettent de nombreux apprentissages. « (…) les comptines, ni vraiment poésies, ni vraiment chansons, sont bien plus qu’un simple jeu et permettent l’éveil au langage, aux nombres, aux notions d’espace/temps, à la motricité et à la sociabilité et ce, dès la crèche et l’école maternelle. Elles ont donc une réelle action éducative, en rendant notamment l’enfant sensible à son environnement et en facilitant chez celui-ci l’apprentissage d’une série d’habiletés indispensables à son bon développement. Il s’agit donc d’un instrument pédagogique important, à la disposition des personnes intervenant de près ou de loin dans le développement d’un enfant. » Ainsi parlent Gauthier et Lejeune (2008, p.420) dans une recherche de psychologie clinique. |
Chanter pour apprendre
On sait tous par expérience que chanter aide à mémoriser. Je dis souvent que j’ai appris l’anglais en chantant les chansons des Beatles, et je me souviens encore des paroles d’une chanson en espagnol apprise au lycée, alors que je ne parle pas l’espagnol. Ainsi, en classe, on apprend la suite des jours de la semaine, celle des mois de l’année, ou la comptine numérique en chantant, en français mais aussi dans d’autres langues. C’est beaucoup moins fastidieux et beaucoup plus efficace que de l’apprendre par cœur. Une étude de Schön et Al (2008) intitulée Songs as an aid for language acquisition confirme que l’activité motivante et fortement liée à l’émotionnel que constitue le chant, peut bénéficier à l’apprentissage d’une langue, particulièrement au début de l’apprentissage, quand on découvre des mots nouveaux et qu’on a besoin de les isoler dans la chaîne parlée. Le chant peut ainsi aider à l’acquisition du langage pour au moins deux raisons : l’impact émotionnel du chant a un effet sur le niveau d’activité et d’attention; et la mélodie aide à la discrimination phonologique (grâce au lien entre le rythme et le découpage syllabique). Pour ces raisons et aussi et surtout pour le plaisir partagé en chantant, j’ai voulu conférer aux comptines une importance particulière dans ma classe, avec un double objectif : l’inclusion des langues des élèves et l’apprentissage du français. |
Les comptines plurilingues
Elles constituent une forme d’éveil aux langues (voir développement sur l’éveil aux langues dans la notice « imagiers plurilingues numériques »). À partir de la moyenne section, ils vont découvrir l’existence de langues, parfois très différentes de celles qu’ils connaissent. Dans des situations ludiques (jeux, comptines…) ou auxquelles ils peuvent donner du sens (DVD d’histoires connues par exemple), ils prennent conscience que la communication peut passer par d’autres langues que le français ». Inclure les langues des élèves par le biais des comptines permet d’établir un lien entre la maison et l’école et de réconcilier les différentes langues du répertoire linguistique des élèves. De plus, la dimension affective et symbolique des langues est particulièrement présente dans le chant, et ce, surtout quand la comptine est apprise par l’entremise des parents des élèves. Ces comptines venues souvent de leur enfance portent souvent une valeur affective forte, et le fait de les transmettre au sein de l’école de leur enfant n’est pas anodin pour eux. Et même quand la comptine est apprise par la maîtresse à l’aide d’un CD, la reconnaissance de la langue première induite par une comptine est de grande valeur pour l’enfant. Travailler le chant, c’est aussi travailler la voix, et donc mobiliser le « corps parlant » et ancrer l’apprentissage dans le corps, et c’est reconnaître, prendre conscience et réactiver les connaissances corporelles déjà acquises dans la langue première, non seulement phonatoires mais plus largement gestuelles. |
Les comptines en français
Le principal objectif est l’apprentissage de l’oral, en lien avec les activités et avec comme support la gestuelle et le mouvement, la danse et le mime, les mimiques. Les comptines accompagnent l’action et la mettent en mots. Les gestes qui les accompagnent, les jeux de doigts et les bruitages sont autant d’aide à la compréhension et à l’entrée dans la langue pour les allophones. Je simplifie parfois les paroles pour permettre l’acquisition de phrases simples nécessaires à la vie quotidienne, voire j’invente de nouvelles comptines pour les besoins de la cause, dans un but d’apprentissage de mots et phrases simples, et parce que les comptines existantes peuvent être trop compliquées parfois pour que les enfants puissent se les approprier efficacement dans un but langagier. A ces conditions, les comptines peuvent offrir aux apprentis parleurs des « modèles » de la parole dont ils peuvent s’emparer, ce que Lentin et Canut nomment des « schèmes sémanticosyntaxiques créateurs » (Canut, 2009). (voir fiche sur les albums-échos numériques). |
POUR ALLER PLUS LOIN | |
Canut E. (2009), Apprendre à parler pour ensuite apprendre à lire et à écrire. Congrès FNAME. |
MISE EN OEUVRE |
En français
Les comptines rythment la vie de la classe, annoncent, accompagnent les moments de la vie collective et participent à la ritualisation des activités. A chaque moment clé de la journée correspond une comptine qui le met en mots : une comptine pour dire bonjour, une pour dire le temps qu’il fait, une pour se dire bon appétit, une pour dire que l’on se range ou que l’on fait la ronde, une pour dire que l’on se tait. Dans les langues des élèves Ce n’est pas toujours possible, mais on préfère quand les comptines nous sont apprises en classe par les parents. Ils viennent en classe et nous les apprennent directement. On en profite aussi pour enregistrer la comptine sur la tablette numérique, ce qui nous donne un bon support pour les séances ultérieures d’apprentissage et nous permet aussi de mettre la comptine sur le blog de l’école. C’est aussi plus aisé pour nous d’avoir un modèle fiable pour nous entraîner à avoir la prononciation la plus correcte possible. Les parents nous racontent comment ils l’ont apprise : à propos d’une comptine en wolof, une maman nous a ainsi raconté qu’elle la chantait enfant quand elle jouait à la marelle. Quand on évoque ensuite cette comptine, cela devient « la comptine de la maman de …. », ce qui est beaucoup plus signifiant pour les jeunes enfants qu’un titre. Le classeur des comptines réunit toutes les comptines, rondes ou formulettes apprises en classe. Il est à la disposition des élèves dans la bibliothèque de la classe, de façon à ce qu’ils puissent le feuilleter à volonté. Tous les chants et toutes les comptines apprises en classe y figurent, associés à une illustration qui permet de les identifier. Le classeur est un outil qui permet de susciter la répétition et le réinvestissement par les élèves, seul ou à quelques-uns, des chansons apprises avec la classe entière. |
IMPACT |
Les comptines plurilingues
Les élèves n’ont aucune difficulté à apprendre ces comptines (beaucoup moins que les adultes) et moins de difficultés de prononciation : cette mise en bouche de sons inconnus est un jeu pour eux, ils aiment beaucoup cela. Ils sont très fiers de chanter des comptines dans leur langue et très respectueux de celles des copains : il n’y a plus de rires ni de moqueries à l’écoute d’une nouvelle chanson (comme cela a pu être le cas il y a quelques années). Les sonorités différentes n’étonnent plus, le plurilinguisme fait partie de l’ordinaire, on est vraiment dans un apprentissage du vivre ensemble. |
Les comptines en français
Il est difficile de mesurer l’impact des comptines sur les apprentissages langagiers, mais ce qu’on observe et qui présente un très grand intérêt pour l’apprentissage de la langue seconde, c’est que les comptines permettent de s’entraîner à l’articulation et la prononciation du français avant même que l’enfant ne puisse produire des énoncés personnels. Voici deux exemples : – Abdelhakim avait 5 ans et il ne parlait presque pas en classe. En revanche, il pouvait dire parfaitement les comptines de la classe en français. On pouvait donc être rassuré sur ses compétences langagières. Et de fait, aujourd’hui, en grande section, il parle bien. |
Publication 2019