LES SACS À RACONTER | |
Compte-rendu d’une activité menée par Marie-Claire Simonin, professeure des écoles, école maternelle Cologne (REP+), Besançon. | |
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OBJECTIFS |
– Construire la compréhension d’une histoire avec tous les élèves et en particulier les allophones |
Objectifs à plus long terme :– Permettre le transfert des compétences de narration dans les langues premières des élève : je raconte en français, mais j’aimerais que les contes puissent être aussi dits dans les langues des élèves. J’essaie de faire venir les parents pour ces moments de conte, avec 2 objectifs : En attendant de pouvoir aller aussi loin, l’enregistrement des contes permet de favoriser le lien école/famille grâce à leur présence sur le blog de l’école. |
ÉMERGENCE DE LA PRATIQUE ET APPUIS THÉORIQUES |
Dans le but de favoriser l’entrée dans la langue de scolarisation par une pratique ludique et motivante, je propose cette activité rituelle à mes élèves, issue de la confluence de deux pratiques. Je me suis inspirée à la fois d’un protocole proposé par Suzy Platiel et à la fois de pratiques à destination des allophones comme la boîte à histoires de Dulala. |
«Le conte, outil d’éducation et d’humanité» (Suzy Platiel)
J’ai eu la chance de participer à une journée de formation avec l’ethnolinguiste Suzy Platiel, journée organisée par le CLIVE en 2014, à l’initiative de Nathalie Thibur. Suzy Platiel a développé sa théorie à partir d’un travail mené dans les années 1965/1970 qui visait à mettre au point un système d’écriture pour la langue d’un peuple à tradition complètement orale (les Sanans au Burkina Faso). Elle a passé beaucoup de temps à observer leur vie quotidienne; elle a ainsi enregistré un corpus d’environ 300 contes et a pu observer comment la langue et les codes de la société Sanan se transmettaient aux enfants grâce à une importante activité de racontage. Suzy Platiel a alors émis l’hypothèse qu’une transposition de ce modèle dans nos écoles pouvait permettre de travailler à la maîtrise de la parole et à la structuration de la pensée. Il s’agissait de raconter pour faire raconter. Elle a formé des enseignants, dont Nicole Launey et Jean-Christophe Gary. Le protocole établi suit scrupuleusement les principes observés chez les Sanans. Les contes sont introduits en respectant une progression qui permet l’acquisition progressive de la capacité à raconter : – On commence par nommer les choses en les montrant. Des expériences ont été menées, dans différents contextes scolaires, avec des élèves d’âges différents (principalement collège et école élémentaire), toutes basées sur le même principe : raconter régulièrement un nombre assez important de contes, en les répétant, dans des moments ritualisés, et en dehors de tout travail sur la compréhension de l’histoire et de toute exploitation pédagogique. Au début, seul l’enseignant conte, puis petit à petit les élèves s’y mettent. Ces moments sont basés sur une libre participation : chaque élève a le droit de raconter ou non, et toujours un conte de son choix. Les prestations ne sont jamais évaluées, rien n’est écrit. Ces expériences ont donné lieu aux mêmes constats : – Les élèves apprennent à écouter et développent leurs capacités de mémorisation (appropriation et non par cœur). – Le groupe classe se constitue autour de cette écoute et l’ambiance de classe s’apaise et devient beaucoup plus respectueuse et solidaire. – Beaucoup d’élèves développent leurs compétences langagières. Les non francophones progressent en français, ceci a été observé par exemple en Guyane (Launey & Platiel, 2010). |
J’ai adjoint à ce protocole ce que j’appelle les « sacs à raconter ». Il fallait trouver le moyen pour que tous les élèves, y compris les plus jeunes (3 ans) et ceux qui ne comprenaient pas encore suffisamment le français, puissent comprendre l’histoire. Le sac à raconter permet d’adapter l’activité à l’âge des élèves et au contexte plurilingue. Les sacs à raconter s’inspirent de pratiques utilisées avec les allophones, en particulier : |
La boite à histoires (Dulala)
Il s’agit d’une pratique qui permet de raconter des histoires dans différentes langues. « Créée par une artiste italienne, Fiorenza Mariotti, et développée par DULALA dans une optique du développement du langage et d’éveil aux langues, cette grande boite très soignée contient des objets symboliques qui constituent les étapes et les personnages clés d’un conte. Les enfants écoutent la voix du conteur qui, tout en racontant l’histoire, puise dans la boite les objets les uns après les autres pour les placer sur une petite scène. A certains moments, la narration peut s’interrompre, afin de proposer aux enfants d’interagir avec les objets (de les toucher, sentir, goûter…). » Elsa Bezault et Gwenn Guyader, La boite à histoire pour le développement de la littéracie |
MISE EN OEUVRE |
Rituel
Deux fois 20 minutes à ½ heure par semaine toujours les mêmes jours aux mêmes horaires, sur les bancs disposés en carré du coin regroupement, Une grosse boîte contient les sacs à raconter; chaque conte du répertoire de la classe est matérialisé par un sac contenant des accessoires qui vont servir: – pour les allophones, de support à la compréhension du conte; |
Choix des contes
– des contes de randonnée pas trop longs, avec des animaux le plus souvent, et toujours avec des motifs répétés de type comptine (« Vite, vite, dans la moufle, il se camoufle et il s’emmitoufle ») permettant une mémorisation; |
IMPACT |
Ces deux fois 20 minutes sont les moments de la semaine où l’attention des élèves est la meilleure et où l’on obtient la plus belle qualité de silence. Les élèves attendent ce moment avec délectation. La qualité du silence est autre que celle observée lors de la lecture d’albums. La connivence développée avec l’auditoire est bien supérieure : le conteur capte par le regard, par la gestuelle, par tout son être, il n’est plus seulement intermédiaire entre un texte et un public, mais il réinterprète l’histoire. C’est de l’oral, le texte peut fluctuer, et laisser jaillir des trouvailles nouvelles. Pour l’enseignant, il s’agit d’un tout autre engagement que celui de la lecture, on a tous observé qu’il est tout à fait possible de lire à haute voix de façon machinale sans même vraiment comprendre ce que l’on lit, mais il est impossible de conter machinalement. Le conteur est forcément intensément présent et il capte l’attention de son auditoire par le regard, les mimiques… La motivation des élèves est très forte, le premier intérêt de cette démarche est là : les contes sont extrêmement appréciés des enfants et ils ont très envie de raconter à leur tour. Ils sont donc prêts à s’exercer inlassablement pendant des semaines pour y parvenir. |
Les enjeux
Le défi à relever est de taille dans une classe où de nombreux enfants sont repérés chaque année par la PMI (centre de protection maternelle et infantile) comme présentant un retard de langage, d’après des évaluations normatives et qui ne tiennent pas compte du contexte plurilingue. La classe de moyenne section correspond à un âge (4 ans) où l’enfant s’ouvre, où sa curiosité pour l’extérieur et les autres s’éveille et où il commence à exprimer autre chose que ses besoins premiers. La plupart des élèves met longtemps à se lancer : pendant au moins deux ou trois mois, la maîtresse est seule à conter. Curieusement ce ne sont pas forcément les élèves habituellement dotés de la plus grande assurance qui se lancent les premiers. Certains élèves ne participent que là et très bien. Ils s’enhardissent en racontant et se mettent ensuite à participer dans d’autres circonstances. L’objectif ultime (pour des enfants plus grands) serait un monologue du conteur; à cet âge, il s’agit plutôt d’une construction de l’histoire en groupe, car on a le droit d’aider le conteur, et c’est aussi un moment de construction des compétences de communication en groupe (écoute des autres, respect des tours de parole, …) C’est un exercice complexe et difficile qui met en jeu de nombreuses compétences, dont une particulièrement difficile à acquérir : la production d’énoncés longs (les recherches sur les activités langagières en maternelle montre qu’ils souvent sont peu présents). Mais les élèves aiment tellement ces histoires que leur motivation est très forte. Quand je raconte, ils se mettent à dire les formulettes avec moi. Pour faciliter le racontage devant le grand groupe et le permettre pour tous, j’ai élaboré une progression avec des étapes et des activités annexes pour que les enfants apprennent petit à petit à construire les histoires. L’activité se décline sous plusieurs formes pour permettre l’appropriation progressive par les élèves : |
Remarques
– Il est question ici, dans le cas de ces enfants jeunes et en apprentissage de la langue et du langage, de « socialisation langagière » autant que de développement des compétences langagières. |
Personnages (par ordre d’apparition) | |
Il était une fois un p’tit bonhomme des bois | |
Ce jour-là, le p’tit bonhomme des bois marchait dans la forêt, il suivait le chemin des bois. |
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Mais, caché derrière un arbre, un blaireau le regardait. Il se disait : « Oh un p’tit bonhomme des bois, ce doit être bon un p’tit bonhomme des bois, je mangerais bien un p’tit bonhomme des bois. » Alors le blaireau se mit à suivre le p’tit bonhomme des bois. Et le p’tit bonhomme des bois ? Il suivait le chemin des bois. Mais, caché derrière (…) je mangerais bien un p’tit bonhomme des bois… Et puis aussi un blaireau ! » Alors le renard se mit à suivre le blaireau qui suivait le p’tit bonhomme des bois. Pendant ce temps-là, le p’tit bonhomme des bois continuait à marcher. Mais il sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Il s’arrêta. |
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ZOU…. il fonça entre les pattes du blaireau et il se retrouva nez à nez avec le …ZOU… il fonça entre les pattes de l’ours et il se sauva au fond des bois…. et il courut longtemps, longtemps… On dit même qu’il court encore… |
Publication 2019